SAINT-MARTIN DE CORTSAVI

UNE ANTIQUITE CERTAINE


L’automobiliste désireux de faire la connaissance du haut Vallespir, peut s’offrir un circuit très enrichissant.
A cinq cents mètres, environ, en amont d’Arles sur Tech, sur la route départementale 115, un panneau routier lui indiquera la direction à prendre pour se rendre à Cortsavi, (appelé à tort Corsavy). De là, il peut ensuite gagner les villages de Montferrer et du Tech, après avoir parcouru moins de 30 km à travers collines et vallons d’où la vue s’étend jusqu’à la Méditerranée.
Un peu avant d’atteindre le village de Cortsavi, son attention sera attirée par la présence, à sa droite, des majestueuses ruines de l’antique église paroissiale, Saint-Martin de Cortsavi.
En 993, Bérenger, évêque d’Elne, consacre une chapelle a « Sancti Martini, in villa Rivo Ferrario. » Cette chapelle réapparaît dans un document de 1011, sous le vocable de « Valle vetere rivi Ferrarii superiori (et subteriori) cum ecclesia S. Martini Curtis Savini. » (Eglise Saint Martin de Cortsavi sur la rive supérieure de la vieille vallée du Riuferrer).
Donc, aucun doute n’est possible, il s’agissait déjà, en 993, de cette même chapelle, dont nous admirons aujourd’hui les belles ruines.
En 1001, le même Bérenger fait donation de cette chapelle à Sintilla, abbé du monastère d’Arles, en échange d’autres biens.
La seigneurie de Cortsavi, ne voulant pas se soumettre au monastère d’Arles, fit construire, elle aussi, sa propre chapelle dans l’enceinte du château féodal, qu’elle dédia à Saint-Jacques. Les dépendances du château devaient occuper, à ce moment-là, tout le haut quartier du village actuel.
En 1158, Arnal III, évêque d’Elne, consacra la chapelle Saint-Martin qui devint, dès lors, l’église paroissiale des éleveurs de Cortsavi. Cette consécration se fit sans l’assentiment des châtelains du lieu qui manifestèrent, à leur façon, leur mécontentement. En voici le premier acte
Le 3 des ides d’octobre 1157, Bernard de Cort Savino, son frère Guillem et leur mère Blanca, assistèrent à la consécration de l’église Saint-Etienne d’Aria. On les retrouve, tous les trois, à une cérémonie identique qui eut lieu, en 1159,à Saint-Pierre du Riu ferrer. Par contre, aucun d’eux n’assista à la consécration de l’église Saint-Martin, ni à celle de Sainte-Cécile de Cos qui eurent lieu pendant l’année intermédiaire de 1158. où le clergé et les seigneurs du Vallespir, et même du Roussillon, étaient représentés.
L’évêque Anal ne manqua d’ailleurs pas de déclarer, à cette occasion. que la chapelle nouvellement construite auprès du château, « Ecclesiola quoe novita constructa est juxta castrum Curti Savini », sera pour toujours soumise à l’église Saint-Martin que nous venons de consacrer.
Les seigneurs de Cortsavi firent le nécessaire pour que l’église Saint-Jacques soit, en fait, l’église paroissiale, même si elle ne l’était pas en droit. Ils y réussirent parfaitement. Bernard de So, l’un des derniers seigneurs de Cortsavi, y fonda même un bénéfice.
Nous pensons qu’en raison des rivalités qui existaient entre la féodalité de Cortsavi et les autorités religieuses, il est bon de faire un bref historique de cette puissante seigneurie pendant la période qui intéresse notre récit.
En 1007, Bernard Taillefer, comte de Besalu, seigneur du Vallespir, fait une donation à l’abbaye d’Arles. L’acte signé à cette occasion mentionne,, comme terres 1imitrophes, le «féo de Cort Savino »(fief des étables de Savin).
Cortsavi n’était donc, à cette époque, qu’un domaine composé d’étables appartenant au seigneur auquel le vassal, Savin, rendait foi et hommage.
En 1020. le comte Taillefer légua à sa fille, Constancia, le fief de « Cort Savino » tenu, à ce moment-là, par un nommé Oriol. Le changement de tenancier n’influa en rien sur le nom du lieu qui garda sa signification jusqu’à ce qu’il fut estropié par sa francisation.
En 1106, apparut pour la première fois le nom de Ramon Brachiati,, de « Cort Savino ». Ce dernier signa. en qualité de témoin, une donation faite par le comte de Besalu à l’église Saint-Paul de Narbonne.
En 1119, Bernard Ramon de « Curti Savini », signa également comme témoin, un acte de donation à l’abbaye d’Arles, par Guillem Raimondi de Palatiodan. ( Palais de Dan ou Palalda ).
Ramon de Cortsavi, seigneur aussi de la Bastida et de Bula, mourut en 1194. il laissa trois filles dont l’aînée, Ermessende, épousa Raymond des Termes, le puissant seigneur du Narbonnais, qui décéda en 1212. Ermessende, épousa alors Bernard Hugues de Serrallonga, avec lequel elle eut trois fils et deux filles.
A la mort d’Ermessende, la seigneurie de Cortsavi passa à Ramon de Serrallonga, second fils de Bernard Hugues. Peu de temps après, Bernard de So devint seigneur de Cortsavi. Le 18 des calendes d’octobre 1335, c’est-à-dire aux veilles de sa mort, Bernard de So céda au roi Jacques de Majorque la baronnie de Cortsavi, le château de la Bastida et les dîmes de la vallée de Prats, en échange des châteaux de Millas et de Calce.
A la fin du XIV° siècle, Jean Ier d’Aragon nomma le donzell. Pierre de Rocafort, châtelain de Cortsavi, dont la seigneurie appartenait à la reine Yolande, son épouse. Mais cette dynastie n’ayant pas su conserver ce pouvoir, en 1474, le roi Jean Il s’empara du château par la force. Il n’en jouit d’ailleurs pas longtemps car, dès 1509, le dit château était déjà signalé en ruine, en raison de la suppression des corvées imposées aux habitants de cette communauté qui devaient en assurer l’entretien.
De cet édifice considérable, il ne reste que quelques gros blocs de pierre n’ayant pu être manipulés. Tout le reste servit de carrière aux habitants pour construire leurs maisons aux alentours. Seule subsiste encore la grande citerne qui alimentait en eau les dépendances féodales. Par souci de sécurité, la municipalité de Cortsavi l’a fait disparaître sous une dalle de béton.
Mais revenons à notre principal sujet.
La paroisse de Saint-Martin de Cortsavi, taxée à quinze livres, fut conférée, en 1391, au prêtre Nicolas Rossinyol.
En 1428, un violent tremblement de terre, connu sous le nom de séisme catalan de la chandeleur, fit crouler la chapelle Saint-Jacques, construite à l’initiative des châtelains. La reine Yolande d’Aragon, aussitôt informée, s’empressa de la faire rebâtir. Par contre, elle négligea l’église Saint-Martin qui, elle aussi, avait beaucoup souffert de ce cataclysme. Son clocher carré, dont des fouilles récentes font apparaître la partie souterraine, s’effondra sous la violence du séisme, Il ne fut pas reconstruit.
En dépit de ces malheurs, la paroisse Saint-Martin continua de subsister, puisque, dans un testament qu’il fit en 1548. Etienne Porta, curé de Saint-Martin de Cortsavi, laissa un legs au profit de cette paroisse.
D’après une légende, rapportée par la tradition, le coup de grâce fut porté à cette église, vers le commencement du XVII° siècle. Le curé, qui habitait le presbytère attenant et officiait dans ce sanctuaire, fut sauvagement agressé par des personnes étrangères à la paroisse. Ce crime crapuleux eut pour conséquence un pillage en règle de cet édifice sacré, qui contenait des objets de grande valeur, et la suppression du culte en ce lieu devenu pratiquement désert. En effet, pour des raisons de sécurité, ou pour toute autre raison que nous ignorons, les habitants de Cortsavi avaient quitté cette partie du territoire, jadis si vivante, pour aller se fixer autour des ruines du château féodal.
L’église Saint-Jacques fut alors reconstruite et devint l’église paroissiale des Corsavinois. Par déférence pour leur vieux patron, ces derniers détrônèrent Saint-Jacques et le remplacèrent par Saint Martin.