La Dame grise

THT, THT
Tu passes avec dédain sans voir et sans entendre
A coté des oiseaux et des populations.
Tu ne distingues plus leurs maisons de leurs cendres
Tu ignores en traversant les noms des habitants

THT, THT
Tu passes avec mépris des pauvres et des petits
Tu troues sans respect nos forets, tu remplaces sans honte
Nos châtaigniers, nos hêtres et nos chênes verts
Par d'affreux poteaux en fer.

THT, THT
Tu te dis une amie, et tu es une tombe
Ton hiver prend nos vies comme une hécatombe
Tu te dis lumière et tu es une nuit
Pale et froide sans étoiles et sans vie
Ton printemps ne sent pas la fraîcheur de nos pensées
Ta foret n'a plus de mousse et tes champignons
Sont secs, durs et pales comme tes ambitions.
Ton été est pourri par des chantiers immondes
Tu fais fuir nos amis que nous voulions garder.
Ton automne ne voit plus les couleurs de l'amour
Même les sangliers ont quittés ta foret
Tu as gardé le feu pour brûler notre vie.

Et pourtant,si tu savais,si tu voulais savoir !

Les mélèzes de la Souque ont leur chant du soir
Les fleurs de la Devèze, leur symphonie
Les buissons de la Serre, leur concert.
Sur les bords du Riu ferrer qui gronde et qui gémit
Les herbes de la Fargue amoureuses des parterres d'oeillets
Chantent encore des parfums de berceuses aux randonneurs fatigués

THT, THT, arrête un peu ta course
N'enferme plus nos vies dans tes fils prisonniers
Nos enfants n'oseront plus sortir de nos cités.
Laisse nous  des visages aux couleurs de l'enfance
Des villages et des clochers qui pour nous sont romance
Des gorges de la Fou a la chapelle San Marti
De la tour, des fontaines, du Casteil de notre Corsavy
Nos fenêtres ouvertes sur un monde accueillant
Veut voir le ciel et ses nuages, la montagne et sa foret
Le rêve enfin, la beauté d'un site à jamais conservé.

S’il te plait THT
La hauteur ou tu est trop grande
Pour la force des hommes
Descends et quitte cette imposante cime
Je connais des hommes plein d'amour et de doute
Dont le pouvoir et l'or ne furent jamais sans doute
Le but de leur vie.
Ils nous ont appris le respect de la vie

Madame la THT
Laissez nous en paix, s'il vous plait,
Abandonnez vos projets, vos fleurs sont fanées
Vous faut- il du malheur pour nourrir votre gloire ?
Ne grésillez plus sous vos poteaux sans âme
Nous avons les grenouilles et les papillons,
Les libellules et les abeilles, ne troublez pas notre sommeil
Venez, sentez les approches du matin clair
Ecoutez les chansons douces d'une clarté tranquille et pure

Tout le reste est illusion
Tout le reste est destruction

                                           Michèle Comes

Mai 2005

 

De la vie   de la mort

Au clocher de Corsavy
vieux de quelques siècles
midi sonne
le temps passe
elle se rapproche
Sirène de pompier
barri d'amunt
attroupement de voisins
que se passe t-il
c'est Francine
elle un malaise cardiaque
en réalité c'est trop tard
un docteur deux heures avant
avait diagnostiqué une chute
de tension
et prescrit des médicaments
revenu en urgence
il constate le décès
foudroyant
la cause du décès
rupture d'anévrisme
Dans son lit Francine
discutait avec deux amies
des voisines
Denise et Jacqueline
elle dit
 j'ai la tête qui tourne
elle la rejeta en arrière
sur l'oreiller
poussa un râle
ce fut tout
c'était terminé
à pas 79 ans
6 ans de moins que l'espérance
de vie moyenne
des femmes
trois heures après
parce que les obsèques
sont programmées
pour le lendemain
la page est tournée
un fourgon a enlevé le corps
les volets ont été fermés
Des paroles s'envolent
c'est le destin
c'est son heure

c'était écrit

c'est la vie
La vie continue
un bus est affrété
pour le lendemain
une collecte organisée
pour l'achat d'un coussin de fleurs
Le soir
neuf heures sonnent
le temps passe
elle se rapproche
je me promène autour du village
comme tous les soirs
Comme tous les soirs
je croise un groupe de femmes
les mêmes tous les soirs
La veille
Francine en était
elle avait apprécié le bouquet
cueilli par Annie
pour sa mère dont c'était la fête
pour ma mère dont c'était l'anniversaire
toutes deux trépassées
Aujourd'hui
Francine n'est plus
Francine n'en est plus
La vie continue
dit une des femmes du groupe
Plus tard
je m'interroge
minuit sonne
le temps passe
elle se rapproche
Que disent ces paroles de survivants
La vie continue oui
pour chacun de ces vivants
moi y compris
qui vous écris
jusqu'à ce que chacun de nous
 passe
pour une cause ou pour une autre
d'une manière ou d'une autre
actualisation de notre condition
accomplissement de notre destin
nous mourons
 parce que nous sommes mortels
mais
 à l'échelle du temps immense
la vie ne continue plus
tout passe
tout meurt

même le soleil
la mort est absolue
elle a  tout le temps pour elle
Dire c'est la vie
c'est dire la vie finit avec la mort
toute vie s'achève par une mort
C'est notre destin
d'individu et d'espèce
petite part de temps de vie
et temps éternel de mort
Dans le grand livre de la Nature
il n'y a qu'une inscription
nous sommes mortels
donc nous mourrons
Faut faire avec
la fatalité de la mort
se savoir mortel
s'accepter mortel
sans comprendre jamais
encore moins connaître
la signification de la mort
et vivre son temps de vie
sans connaître sa durée
Facile à écrire
difficile à vivre
Comment accepter de
ne plus vivre un jour
comment accepter de
ne pouvoir aller au bout
de nos projets
car projeter
c'est s'approprier du temps
à venir
sans garantie que nous l'aurons
Vivre c'est parier
la seconde qui suit
la minute qui vient
c'est risquer
aujourd'hui
demain
c'est prendre
2 ans 5 ans 20 ans
de crédit
de temps
sans le tenir aucunement
c'est jouer avec le temps
qui ne nous appartient pas
disposer du temps
comme s'il était à notre disposition
sans savoir ni pouvoir calculer

le temps qui nous reste
c'est dépenser le temps disponible
sans connaître le total indépassable
Le seul temps comptable
c'est le temps qui a passé
temps volé
parce que joué
et qui ne pourra nous être volé
mais temps qui ne compte plus
et qui racornit notre temps de vie
Notre passé
en augmentant
réduit
rapetisse
notre futur
Notre petite part de temps de vie
diminue
tend vers 0
quelle que soit notre manière de vivre
Cela veut-il dire
que toutes les manières de vivre
se valent
donc ne valent rien ?
Puis-je vivre dans le présent
uniquement
sans souvenir du passé
sans anticipation du futur ?
Est-il charlatan
celui qui le prétend ?
Francine a dit
j'ai la tête qui tourne
cela lui a pris un tout petit peu
de son temps de vie
ses dernières secondes
sans le savoir
il y avait du passé
celui des syllabes prononcées
du présent
celui de la syllabe qu'elle prononce
du futur
celui des syllabes à prononcer
elle a pu finir sa phrase
avant de chavirer tout à fait
mais combien de dernières paroles
sans fin
inaudibles
incompréhensibles
un peu comme les premières syllabes
Francine discutait avec ses amies
présente à ce qui se disait
tout en poursuivant son monologue
celui que nous entretenons sans fin
qu'il fasse jour qu'il fasse nuit
et qui va par sauts et gambades
Elle pesait ce que venait de dire Denise
préparait sa réponse à Jacqueline
tout en revoyant son Antoine
disparu 7 ans auparavant
et dont elle ne supportait pas l'absence
tout en pensant à Bernadette
sa fille
sur laquelle elle savait pouvoir compter
à Gauderique son petit-fils
et se réjouissant de la venue
de ses arrières petits enfants
Antonin et Amélie
dans trois jours
Sa tête se mit à tourner
J'ai la tête qui tourne
dit-elle au présent
de ce présent qui se présentait
de cette manifestation de son corps
un peu insistante
au point de la remarquer
Ce furent ses dernières paroles
un constat
pas un souhait un désir
un regret
une approbation une objection
une affirmation non
un constat
mais elle ne sut pas
que c'était le constat de sa fin
qu'il n'y aurait plus de paroles d'elle
plus de présent
plus de futur pour elle
plus d'à-venir
seulement son souvenir d'elle
le souvenir de son passé
de ce qu'elle avait été
dans le coeur de ceux et celles
voulant se souvenir d'elle
jusqu'à ce qu'eux-mêmes trépassent
Il n'y a pas de regrets éternels
même marbrés dans le grave
seulement des regrets éphémères
comme nos vies
si longues soient-elles
A l'échelle du temps immense
nous ne sommes qu'une éloïse
dans la nuit éternelle
A notre échelle
cette petite part de temps et de vie
qui nous est donnée par le hasard
comment pouvons-nous la vivre
en sachant que nous la vivons
sous l'horizon de la mort absolue
en toute incompréhension
 de la signification de cette fatalité
Don du zard
la vie
don du zard
toi moi
don du zard
ta mort avant la mienne
ou l'inverse
sans souci d'ordre
de signification
sans préférence
 pour l'un ou pour l'autre
sans souci
de la souffrance ou non
de celui qui part
de celui qui reste
Dans ce grand jeu de hasard
sans règles et sans lois
sans calculs de probabilités
comment jouer ?
peut-on tricher ?
peut-on jouer sans tricher ?
Est-elle tricheuse
celle qui prétend vivre
uniquement dans le présent ?
Est-il imposteur
celui  qui prétend vivre
sans angoisse de sa mort
certes certaine
mais à un moment incertain 
tant qu'elle n'est pas venue ?
Est-elle tricheuse
celle qui par peur de la mort
croit à la vie éternelle
se console de la mort du corps
par la survie de l'âme ?
Est-ce imposture
 de dissoudre son petit temps de vie
dans le temps immense de la mort
d'annuler la singularité
que je suis
puisque personne ne naît à ma place
puisque personne ne meurt à ma place
dans l' absolue la totale indifférence ?
Est-ce tricherie
de vivre dans l'insouciance ?
Est-il imposteur
le chercheur de bonheur
le quêteur de gloire
de célébrité
de pouvoir
de fortune
Est-elle tricheuse
la jouisseuse
l'ardente amante
l'indolente madone
la soucieuse de maternité
de postérité
Est-il tricheur
celui qui joue aux dés
les petits moments de sa vie
et à la roulette russe
les grands événements marquants
Est-elle tricheuse
celle qui fuit les aventures
en attente du grand amour
et qui épouse par sécurité
un grand dadais
Et celui qui s'assure tous risques
Et celle qui croit au risque zéro
pour ses marmots
Chacun joue au jeu
le jeu
son jeu
sans savoir s'il joue ou s' il est joué
sans savoir qu'il joue
à quoi il joue
comment il joue
Même à doses massives
de massification
par la télévision
par la consommation
il n'y a pas deux vies pareilles
deux manières de vivre semblables
Chaque vie est singulière
indépendamment de la conscience
qu'on en a
indépendamment de la volonté
qu'on met à se singulariser ou pas
indépendamment des traces
incertaines et éphémères
qu'on laissera ou pas
indépendamment des  usages
qui seront fait ou pas de nos legs
matériels et spirituels
Il m'est donc possible
rien ne me l'interdit
il suffit que je me l'autorise
de vouloir vivre en homme
Sois un homme mon fils
sois un homme toi-même mon père
Il m'est donc possible
de me servir de ma raison
et de ma volonté
dès l'âge de raison
au sortir de l'enfance
pour réaffirmer dans le cours de ma vie
ma singularité de hasard initiale
la redoubler par ma singularité
pensée voulue
conforme à ce que je suis
que je suis seul à être
redoubler ce que je suis par hasard
au départ
par l'impératif
Deviens ce que tu es
Viens de ce que tu es
parce que ce petit rien qu'est ma vie
n'est pas rien
même comparé au Tout de la réalité
mais une chance un don
uniques
que je peux gâcher
ou que je peux porter à terme
Issu par hasard du Tout de la réalité
destiné
à y retourner
mon passage éclair
dans la nuit éternelle
même s'il passe inaperçu
même s'il me semble bref inexistant
a bel et bien eu lieu
Cela n'est pas annulable
même si je trouve que c'est nul
que ça ne vaut pas le coup
que c'est trop court trop peu
que je mérite mieux
et même l'éternité
même si je me trouve nul
que je ne vaux pas le coup
que je suis pris de court
que je suis si peu
et même rien du tout
cela n'est pas annulable
Là est notre problème
quelle estime nous portons-nous ?
Sans estime de soi
nous voilà tentés par le néant
et trop d'estime de soi
nous conduit à être suffisants
Entre le tout et le rien
chacun doit trouver sa juste mesure
ce n'est pas tout
ce n'est pas rien
ce n'est pas tout ou rien
c'est un tout petit peu du Tout
c'est un petit peu plus que Rien
Vivre en homme de raison
c'est penser
clarifier
un peu de l'incompréhensible
un peu de l'indescriptible
chacun de nous est le résultat
d'une débauche de hasards
de bifurcations
de mutations
d'innovations
de transgressions
de réussites
d'échecs
d'inachèvements
de reprises
Vivre en homme de volonté
c'est se hisser à la hauteur
de ce défi
de cette chance que je suis
Puisque la signification de la mort
nous est incompréhensible
la mort étant l'absolu
l'universel
qui donnerait sa signification
à la vie
chacun de nous est libre
de donner la signification
et la valeur qu'il veut
à sa vie
sans avoir à se justifier
puisque c'est le règne de l'injustifiable
Pour moi donc
mon choix
est de tirer le meilleur de ce que je suis
de donner le meilleur que je puisse
je n'ai pas envie d'ajouter
de la laideur au monde
mais un peu de beauté
de pensée
Ce fut sans doute le choix de vie
de Francine
Son sourire
sa bonté
sa beauté
étaient les signes éclatants
qu'elle donnait le meilleur
de ce qu'elle était
de ce qu'elle était devenue
Onze heures du soir sonnent
six jours plus tard
Le temps passe
elle se rapproche
Continuons à vivre
pour et par le meilleur
tant qu'elle n'a pas le dernier mot
Ce soir je peux ponctuer
d'un point final

à Corsavy
du 21 au 27 juillet 2005

Jean-Claude Grosse  

pour Francine Miffre

   à Marcel Conche

 

Exposition de POF 2009